Comment prendre conscience de la profondeur de notre « souffrance écologique » dont l’intensité est à la hauteur des destructions que nous faisons subir à la Terre qui nous héberge et dont nous sommes un des éléments ?
Nous sommes assis en cercle sur l’herbe, dans des jardins proches du bois de Vincennes, à la fin de la Marche du Temps Profond que nous venons de faciliter avec deux collègues de la Convention des Entreprises pour le Climat (CEC). Les dirigeants qui se sont engagés dans le parcours de la CEC ont pris conscience, à travers les différentes sessions de travail qu’ils ont suivies pendant plusieurs mois, de l’urgence à agir face au dérèglement climatique, à l’effondrement de la biodiversité, aux violences sociales…
La Marche du Temps Profond est une marche guidée, en immersion dans la nature, de 4.6 km permettant de parcourir les 4.6 milliards d’années de l’histoire de la Terre et de découvrir, à travers différentes étapes, les conditions d’apparition et d’évolution du vivant jusqu’à notre propre espèce. Ce parcours permet de ressentir corporellement la notion de « temps géologique » et de mieux appréhender les circonstances régissant le fonctionnement de la biosphère, celles qui ont permis l’émergence de la vie.
Et à la fin de cette marche, assis en cercle sur l’herbe, les ressentis partagés par les dirigeants sont intenses : « je suis en colère, …, il y a urgence à agir maintenant pour éviter une 6ème extinction des espèces causée par les humains ! », « quand je prends conscience du temps long, ça m’aide à prendre du recul…, à ne pas me précipiter, à ne pas oublier de vivre l’instant présent… », « ce qui se passe actuellement est dérisoire par rapport au temps de la Terre ! », « il n’y aura pas de changement à hauteur de la situation sans questionnement profond sur notre place au sein du vivant…. », « ce voyage dans le temps me questionne comme jamais sur mes choix de vie… ».
Je prends conscience, en tant que co-facilitateur de cette Marche du Temps Profond, de l’impact de cette plongée dans le temps long, par le corps qui marche et se laisse ressentir.
Il y a urgence à ralentir et à sentir
Dans les temps d’urgence à agir, y a-t-il urgence à ralentir et à sentir ?
Comme le rappellent Pablo Servigne et Raphael Stevens dans leur ouvrage « Tout peut s’effondrer », dans les années 1970, on avait encore le temps et la possibilité d’emprunter une trajectoire de « développement durable ». Mais chaque année, l’humanité dans son ensemble « consomme plus qu’une planète » et les écosystèmes se dégradent. Depuis plus de 20 ans, nous avons continué à accélérer en toute connaissance de cause, détruisant à un rythme encore plus soutenu le système Terre, celui qui nous accueille et nous porte.
Dans ce contexte, le rapport au temps s’invite dans les cabinets des coachs et des thérapeutes, notamment à travers la façon dont nous vivons les pressions existentielles associées au thème de l’écologie.
Et en tant qu’accompagnateur, nous avons besoin de nous laisser toucher par cette situation pour faciliter la rencontre avec nos clients qui souffrent de plus en plus de la violence des coupures avec le monde du vivant. A titre d’illustration, Albert prendre contact avec moi sur les conseils d’un collègue très engagé sur le thème de l’écologie. Lors de la première séance, il m’explique sa prise de conscience soudaine de l’urgence écologique à travers notamment des vidéos sur internet et des ouvrages sur ce thème. Je me laisse toucher et je ressens une profonde tristesse, comme une vague de fond qui pourrait m’envahir. La tristesse s’est invitée de nombreuses fois lors des premières séances, comme un support à la rencontre et à l’alliance de travail. Albert me confiera quelques séances plus tard qu’il avait arrêté de voir son précédent thérapeute parce qu’il ramenait ses souffrances à d’anciennes situations familiales et qu’il ne se sentait pas compris dans sa souffrance actuelle à « voir le monde qui détruit la nature, les écosystèmes... ».
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